De l’utilisation des foils en architecture navale : 1ere partie

Depuis des lustres, on a imaginé utiliser des foils porteurs sur les bateaux dans le but de sortir la coque hors de l’eau et de réduire ainsi la résistance à l’avancement de la coque. Les travaux sur les ailes d’avions, donc sur la portance, ont montré que la portance d’une aile est proportionnelle à sa surface alaire et au carré de sa vitesse de déplacement (la forme du profil, l’environnement, l’incidence ont aussi une influence). De là, l’idée d’installer des “ailes sous-marines” (foils) sur un navire a vite effleuré l’esprit des ingénieurs et des architectes navals.

La lecture de la formule de la portance …

… montre qu’à fluide (eau de mer dans notre cas), surface (S) et forme (Cz) du foil identiques, la portance est 4 fois plus grande à 16 nœuds qu’à 8 nœuds (V est exprimé en m/s). La difficulté première pour un navire sera d’atteindre une vitesse qui générera suffisamment de portance pour soulever la coque hors de l’eau. Ajoutons que pour compliquer les choses, contrairement à un avion, un navire change de milieu conceptuel entre le moment où il flotte (il est alors “Archimédien”) et le moment où il vole lorsqu’il est en appui sur ses foils et que sa coque ne touche plus l’eau. En fait c’est encore plus compliqué que cela.Pour un navire motorisé, c’est presque trop simple. Il suffit d’avoir une vitesse de propulsion (moteur + hélice) pour que la surface active, associée à un profil adéquat du foil, génère une force ascensionnelle (portance) supérieure à la masse du bateau. Ainsi la coque du bateau sort de l’eau.

Dans ces conditions, la carène n’a plus de fonction “archimédienne”, elle sert uniquement de “contenant” (passagers, moteur, carburant etc).Le navire se comporte comme un avion, puisqu’il est “porté par ses ailes”, les foils. Il est facile de comprendre que la vitesse du navire augmente au fur et à mesure que la coque sort de l’eau. Il n’y a plus de centre de carène. L’équilibre étant fonction de la position relative entre le centre de gravité du navire et la résultante de la portance des différents foils. Cet équilibre se gère comme sur un avion avec des gouvernes.Sur un voilier c’est beaucoup plus compliqué car la propulsion longitudinale n’est plus obtenue par une hélice mais par un ensemble de voiles. Cette propulsion vélique va introduire un paramètre complexe : le couple de chavirement. En fait la force propulsive possède une composante latérale qu’il va falloir gérer : la composante parallèle à l’axe du voilier fournissant la vitesse du voilier.On peut classer les voiliers en deux types :

  1. Les multicoques pour lesquels c’est la géométrie de la plateforme qui permet de contrecarrer le couple de chavirage.
  2. Les monocoques pour lesquels c’est le couple généré par le produit du déplacement par la distance entre le centre de gravité et le centre de carène qui va s’opposer au couple de chavirement. Dans cette catégorie il y a deux familles de voiliers :
  • les dinghies pour lesquels le poids de l’équipage est important et créé le couple qui s’oppose au chavirement.
  • les voiliers à déplacement, dessinés avec des lests plus ou moins lourds. Dans ce cas c’est la masse du lest qui contribue pour une grande part au couple qui s’oppose au chavirement.

Sur le Moth on comprend très bien que le déport de barreur, donc de sa masse (flèche rouge), et de la distance sensiblement horizontale (flèche bleue) entre sa position et le centre de portance du foil, génère le couple qui empêche de chavirer.Sur le catamaran (AC72), ce sont les foils sous le vent qui servent de pivot au couple de chavirement. Le centre de gravité de l’AC72 est sensiblement entre le pied de mat et la coque au vent. La masse de l’équipage déplace un peu le centre de gravité de la plateforme et du gréement qui est pas définition dan le plan de symétrie du catamaran.Dans ces deux cas, la surface de la dérive ou la partie verticale du foil encore immergée, combinée avec l’augmentation de vitesse, suffit à générer une force antidérive suffisante pour réaliser des performances correctes au près.Pour un voilier monocoque à déplacement les choses se compliquent car si on veut de la puissance (P) il faut de la surface de voilure afin de générer de la force propulsive (P= F * V). Et rien n’étant jamais gratuit, la force propulsive créée par la voilure va produire évidemment une force dans l’axe du voilier, celle qui donne la vitesse, mais aussi une force non négligeable qui va vouloir faire chavirer le voilier !Pour contrecarrer ce couple de chavirage et de fait augmenter la puissance, l’architecte va déplacer au vent le centre de gravité du voilier en utilisant une quille pendulaire souvent accompagnée de ballasts liquides. Pour ajouter à la complexité du problème, l’utilisation d’une quille pendulaire diminue la surface antidérive, ce qui oblige à mettre en place des dérives.L’équation commence à être compliquée pour installer des foils. On comprend facilement qu’extraire entièrement la coque de l’eau, comme le fait le Moth, est surement impossible pour un monocoque à déplacement si on souhaite que les performances au près soient correctes, de plus en prenant l’exemple d’un IMOCA, le tirant d’eau est de 4.5 mètres.

Des essais réels ont été réalisés il y a pas mal d’années, en utilisant des foils assemblés sur un bras transversal. Ce prototype est un dinghy, ses performances en régime archimédien sont surement très faibles (ni quille, ni dérive).

Si on fait le bilan, pour un monocoque lesté, imaginer sustenter entièrement le monocoque sur deux foils principaux et le safran (3 points) est illusoire. Alors pourquoi utiliser des foils ? Pour améliorer les performances de trois manières :

  • Augmenter, en plus du travail de la quille pendulaire, le couple qui s’oppose au chavirement… Ce qui revient à augmenter la puissance , donc in fine la vitesse.
  • Soulager la carène c’est à dire la sustenter vers le haut, ce qui revient à diminuer la surface mouillée… Et donc à augmenter la vitesse à puissance identique
  • Créer de la portance antidérive en plus de la portance verticale de manière à supprimer les dérives transversales. Cette portance antidérive dépend du dessin du foil.

Il est évident que la conception d’un foil qui remplit ces 3 fonctions ne sera pas une entreprise simple. Comme il est évident que les performances finales seront bien moins spectaculaires pour un monocoque à déplacement que pour un vrai foiler qui passe du régime archimédien à un régime de vol, entièrement sustenté.

Les performances annoncées et les simulations réalisées pour un IMOCA prévoient un gain de 5 jours sur le Vendée-Globe. Rapporté au dernier Vendée-Globe (28600 milles parcourus en 78J 2H, soit une moyenne de 15.3 nds) cela conduirait à boucler le Tour du Monde en 73J 2H. Sur la base d’une distance parcourue identique, la moyenne passerait à 16,3 nds. Calculs éminemment théoriques, je le concède.

En 2013 et 2014, une expérimentation a été réalisée sur WILD OATS XI (Foil DSS, Dynamic Stability System). Techniquement la mise en place n’a pas entrainé de désordre. Toutefois WO est un voilier totalement différent des IMOCA. C’est un voilier de 100’, étroit (BAU 5.91m), de 32 tonnes de déplacement.Le foil est latéral, sa principale fonction est d’accroitre le couple de redressement. La fonction sustentation paraît minimale quand on voit la position très reculée du foil. Elle permet toutefois de déjauger la carène.Cette carène de REICHEL-PUGH est de la même famille que le MELGES 24 (mêmes architectes) et un des points forts du MELGES était de se cabrer au portant sous spi asymétrique par 30 nds de vent. Le foil doit très bien remplir cette fonction.

Ici une application DDS sur un racer-cruiser. Notons que la jauge IRC autorise les foils. Elle les taxe en conséquence mais ne les pénalise pas.

Force est de constater que la conception des foils sur un monocoque à déplacement n’a pas la même finalité que sur un “foiler pur”, dont le but est d’équiper un voilier de foils assurant une sustentation totale afin de sortir du régime archimédien et passer en régime “vol”.Pour autant il ne faut pas rejeter cette technologie, elle évoluera avec les différents essais.Elle dépend aussi des recherches sur les formes de foils et aussi sur le pilotage de l’incidence. La technique du Moth, très “agricole” mais d’une fiabilité et d’une efficacité à toute épreuve, est très peu transposable sur un monocoque de 12, 14, 20 ou 30 m !Jean Sans le 19/01/2014

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