Retour sur Cowes – Dinard à travers le regard de Sam Prietz sur Nutmeg VI. Les conditions météos étaient musclées !

Crédit photos: @Paul Wyeth / RORC

Comment vous raconter cette édition de Cowes Dinard ?

Dès notre arrivée à Cowes, jeudi soir, certains amis envisageaient de ne pas prendre le départ, au regard des fichiers météo peu engageants, avec un front en fin de journée et potentiellement des grains à 40 nœuds lors du contournement des Hanois. Cela excluait de jouer à fond le courant lors du contournement des Casquets : trop dangereux. Sur Nutmeg VI, l’excellent MC 34’ de François et Corentin Lognoné, sur plan Lombard, nous ne voulions pas manquer cette occasion de naviguer au près dans la brise, dans la perspective du Fastnet 2025, année du centenaire. Et puis le briefing météo du RORC n’était pas particulièrement alarmant. Et puis on connait le chemin. Et de toutes façons on doit bien rentrer, alors autant le faire en course. Et puis c’est tout, on ne va pas tergiverser !

Vendredi matin, on se prépare donc gentiment sous la pluie, et du Squadron nous voyons s’approcher les concurrents venus d’Hamble, pour la plupart avec un ris dans la grand-voile.

C’est cette configuration que nous retenons, 1 ris et J3, ce qui devrait normalement nous éviter de pénibles changements de foc.

Avec le début du jusant (HW 11.04 à Cowes), le départ par vent de secteur ouest est toujours favorable au sud de la ligne de départ, avec l’inner distance mark, bouée orange RORC, devant être laissée à bâbord. Petit excès de prudence, nous partons un petit peu en retard avec le First 40.7 Pen Koent, mais du bon côté. Le louvoyage se déroule sans surprise, on trouve rapidement le bon rythme et sortons du Solent avec les meilleurs. Le bateau passe bien dans le clapot, vent contre-courant. Le 34’ Lombard a la puissance d’un plus grand bateau, ce qui est parfois déroutant, mais il tape durement dans les vagues. Il est rigide, et parfaitement étanche, c’est un bon bateau !

A l’approche d’Hurst Castle, les Class 1 dont le J/133 Pintia, auteur d’un splendide départ, et le JPK 11.80 Sunrise, vainqueur du Fastnet, de la Middle Sea Race et de Sydney Hobart, se rapprochent. Nous coupons au plus court, au ras du phare des Needles, et c’est parti pour un très long bord tribord amure, cap au Sud, jusqu’à la fin du jusant. On essaie de tenir le rythme de Pen Koent, qu’on surveille de l’œil toute la journée, lui-même sous le vent de Pintia. Dans l’après-midi, le J/133 de Gilles Fournier, qui avait largué son ris avant nous, abat franchement et fait route vers le Havre. Un de moins parmi les prétendants à la victoire, mais nous savons que le 48’ Scarlett Oyster excelle dans ces conditions, on doit s’arracher pour tirer le meilleur de notre MC 34’ !

Au près, toujours au près, et maintenant sous la pluie… Sans le dire, nombreux se demandent ce qu’ils sont venus foutre ici ! On vire vers 16h30, cap 270, avec le flot contre nous… Le bateau va vite, mais les mouvements sont violents, désagréables. Décidément, ce n’est pas le plaisir d’une régate estivale ! La Manche, dans ces conditions pourries, semble un paradis pour kinésithérapeutes en quête de patients meurtris. Je suis admiratif des équipiers moins jeunes qui endurent ce calvaire avec le sourire.

Vers minuit, nous repartons tribord amure. On imagine être dans le bon paquet. Identifié à l’AIS, Pen Koent est seulement 0.6 mille devant, sur la même amure. C’est un bon bateau, toujours aux places d’honneur, encore deuxième au Spi Ouest-France cette année, et il mesure 6 pieds de plus que nous. Donc on ne doit pas être trop mal. Et puis il y a Scarlet, 3 milles à l’ouest. Son skipper est redoutable, son rating aussi. On lui règlera son compte plus tard. En avant.

Et mince, ça ne va pas le faire. Ça refuse. Les fichiers météo disent des conneries ! On se remet bâbord amure une petite heure. « Go West » disaient les Pet Shop Boys, à moins que cela ne soit Jean-Louis Fabry, je ne sais plus trop à cette heure. Au virement de bord, mon bonnet me recouvre les yeux, comme par hasard au mauvais moment, je manque de tomber. La galère. On repart tribord amure. Cette fois-ci, ça va le faire. On va avoir une petite droite, les premiers, on va les écraser. Ouais… Bof. Pas tant que ça. Les mecs de dessous vont s’échouer s’ils continuent comme ça ! Le vent est remonté d’un cran. 30 nœuds, 32. 30. 28. 30. 32. 36. 34. 36. On ouvre encore le rentreur. En grand ! On choque un peu le foc. Bon : va falloir reprendre le ris. Allez. Allez, là ! La bosse « à toc ». Bon, c’est reparti. Le mât ? Je ne le regarde pas. Ça va. Ça doit aller. On dirait que ça va. Et les autres, sous le vent, ils sont où ? Derrière ? Ah, c’est bien ça, on les a dézingués. Ahah. Ils plantent des pieux. Pire que nous. Ahah. C’est bien. On commence à bien s’apprivoiser entre les hommes et la machine. Ils reculent les mecs. J’ai toujours dit que les Anglais mettaient leur pyjama après minuit. Y vont voir !

En réalité, ce sont des moments très difficiles entre les Casquets et les Hanois. La mer est vraiment mauvaise. 35 nœuds bien établis, des claques à 40… Il ne faudrait pas avoir une avarie dans ce coin, juste au vent des récifs. On voit mieux les Hanois. On arrive à maintenir le cap fond à 215°, c’était la consigne ? Je surveille autant que je peux les afficheurs BRG et COG. Corentin descend vérifier la route. Abats ! Ok, c’est bon, près vitesse. On gagne déjà 1 nœud, puis 2. Au contournement des Hanois, le spectacle est magnifique. Un peu effrayant, mais on ne va pas trainer longtemps. Les feux verts des adversaires reculent déjà dans notre sillage. 9 nœuds. 10 nœuds. C’est parti ! Route au 155°. Ça accélère. Le bon Jules va installer le jib-top. Les autres disent « flying jib », on devrait l’appeler « clin foc », c’est un foc amuré sur le bout dehors et hissé sur une drisse de tête. Ça fait marcher le business des voiliers. On le hisse. On le déroule. C’est parti, 13 nœuds, 15 nœuds, et même 19.9 nœuds à un moment ! Derrière… Le grain. On va peut-être l’enrouler. On va voir. On l’enroule ! Allez les gars, on l’enroule là ! Comme par hasard, le tissu fait une poche là-haut. On amène. Bon, finalement il n’y a pas eu plus de 40 nœuds. C’est déjà bien, 40 nœuds ! On ne va rien regretter, qui sait ce qui se serait passé s’il y en avait eu 50 ?

On voit maintenant bien la ligne d’arrivée, on plaint les gars sur le bateau pointeur. Nous plaignaient-ils tout à l’heure ? Finalement, Nutmeg termine 5ème overall, 4eme en Class 2. Le bateau et le mât n’ont pas bronché, ce qui est un soulagement ! Les bonhommes, eux, ont l’impression d’être passés sous un bus, courbaturés de partout ! Le résultat est plus qu’honorable, ça ne se joue à rien avec Scarlet, 1 minute et 53 secondes devant… Quant aux deux Sun Fast 3300, ce sont les conditions où ces bateaux marchent fort… Il aurait fallu les distancer de 7 milles pour les battre !

Sunrise, le JPK 1180, est à nouveau le grand vainqueur Overall, le seul dont on se souviendra l’an prochain. On a cru comprendre qu’il avait encore plus tiré la barre tribord amure, et beaucoup accéléré. 1h20 d’avance, c’est colossal ! Sans tracker, on peut imaginer plein de choses. C’est très bien comme ça.

Sam Prietz – Nutmeg VI