Les foils vus par Jean Sans – Partie 2

Dans le Guide IRC 2016 publié par l’UNCL en Décembre dernier, Jean SANS proposait un article technique sur les foils, leur apparition sur les monocoques, notamment les quillards, IMOCA ou IRC. Cette étude, complétée depuis par l’auteur et illustrée de nouveaux exemples, est la suite d’un premier article publié l’an dernier sur www.uncl.com. Elle annonce un des angles de recherches futures pour l’IRC.

Dès que l’on parle de foils sur un voilier, on se met à rêver d’une coque en lévitation au dessus des flots.

Si la phase vol, avec bien sur la phase préalable de décollage, est assez facile sur un multicoque, on comprend rapidement que c’est pratiquement impossible sur un monocoque lesté, surtout s’il est équipé d’une quille.

Je pense que le Moth Foiler est le seul monocoque qui vole réellement et qui peut régater, c’est à dire évoluer librement sur un parcours entre deux ou trois bouées. Pour voler, il faut quitter le régime archimédien, donc soulever et extraire la carène de l’eau. Cela signifie qu’il faut créer une force verticale supérieure au poids du bateau et de son équipage en utilisant la portance générée par les foils.

Je rappelle les caractéristiques de base d’un Moth Foiler :

  • Longueur de Coque 3.55m,
  • Surface de Voile : 8m2,
  • Poids gréé : 35kg,
  • Déplacement en navigation : 130 kg avec un barreur de 90 kg et des extra, comme 5 litres d’eau dans le bateau par exemple.

Cela signifie que la force verticale est d’environ 60 daN par foil en « T ». Le deux foils en « T » sont régulés mécaniquement (orientation d’un volet sur le bord de fuite), sans aucune énergie électrique. C’est une « vulgaire » canne articulée et immergée à l’étrave qui traine dans l’eau et assure cette fonction de régulation.

Le barreur est un funambule dont le comportement en navigation est plus proche de celui d’un surfeur que de celui d’un navigateur sur un bateau comme on l’entend communément. En comparaison, les utilisateurs de 49ersfont figure de « retraités de la marine ».

Conclusion : le Moth Foiler vole, c’est une réalité, mais il est impossible de transposer ce « vol » sur un monocoque, même classé dans la catégorie « super light boat ».

Pourtant, le Quant 23 qui n’est pas exactement un monocoque, bien qu’il y ressemble, vole aussi (un monocoque doit posséder une carène dont le creux ne diminue pas lorsque l’on se rapproche du plan de symétrie de la carène). En fait, le QUANT 23 possède une architecture de catamaran, comme le montre la vue de droite ci-dessous :

L’architecture navale est quand même une science extraordinaire, car avec des matériaux plus performants que ceux de l’époque, les architectes auraient pu imaginer des foils et faire voler les Scows.


Alors pourquoi des foils sur un quillard ?

Contrairement au Moth dont les deux foils se situent dans le plan de symétrie du bateau et soulèvent le bateau et son équipier verticalement tel un ascenseur, sur un monocoque lesté, le foil quitte le plan de symétrie du bateau pour devenir un appendice latéral.

L’action des foils sur un Moth est « symétrique » et ainsi assez proche du vol d’un avion (les deux ailes portent le fuselage). Sur un monocoque lesté, l’action du foil sera excentrée, donc entièrement asymétrique.

Lorsque le foil est actif, La composante verticale (lift – en bleu ci-dessous) créée, est toujours sensiblement verticale, mais son point d’application est excentré par rapport au centre de carène. Ainsi sont générés :

  • Un couple de redressement, comme le fait l’équipage au rappel,
  • Un cabrage du bateau : l’assiette longitudinale augmente, l’étrave se soulève.

Les deux types de foil actuellement présent sur des monocoques, sont ceux conçus pour les IMOCA (dessin de gauche) et les foils transversaux, sensiblement horizontaux nommés « DSS » pour Dynamic Stability System (Photo de droite).

Le foil IMOCA (ci-dessous actif en position basse, la flèche rouge représentant la portance) est un appendice en forme de « L » orienté vers l’extérieur. La complexité de la règle de jauge IMOCA est la cause du dessin complexe du foil. Cette complexité résulte d’une règle de classe qui limite le nombre d’appendices à 4.

Afin de respecter cette règles, les architectes regroupent sur un même appendice, la fonction dérive sur sa partie verticale (La quille pendulaire nécessite que le bateau soit équipé d’une ou deux dérives) et la fonction foil sur sa partie horizontale, association inévitablement contradictoire.

Évaluation de la portance du foil (flèche rouge ci-contre) :

P = ½ * ρ * Cz * S * V2 (Force en Newton).

Je rappelle que 10N = 1 daN (sensiblement 1 kg dans le langage courant).

  • V = vitesse du bateau en m/s,
  • S = Surface du foil en m2 (1,20 m2),
  • ρ = masse volumique de l’eau en kg/m3, soit 1025 kg/m3
  • Cz le coefficient de portance (0,3).
Portance (lift)ρCzS m2V en NœudsV m/sV2
78 daN10250.31.2042.064.23
313 daN10250.31.2084.1216.97
704 daN10250.31.20126.1838.19
957 daN10250.31.20147.2051.87

Une surface de1.20 m2 représente un foil de 2.2m X 0.55m, ce qui est assez encombrant. En supposant que l’on souhaite créer, sur un monocoque lesté,  une architecture équivalente au Moth en utilisant 2 foils latéraux et un foil sur le safran (chaque foil faisant 1.2m2), au mieux à 14 nœuds on obtiendra une poussée verticale de 2871 daN. On comprend pourquoi il est un peu utopique de penser qu’un monocoque lesté type IMOCA puisse « voler ».

J’ajoute que dans le petit temps, le foil est totalement inopérant, car la vitesse du bateau est trop faible pour générer une portance utilisable. En revanche, la dérive est indispensable et doit être en position basse. Ainsi le foil se retrouve obligatoirement immergé et génère de la trainée parasite (frein).

Le système DSS est « plus intelligent » car il se rétracte entièrement dans la coque et ainsi n’offre plus de trainée parasite lorsqu’il n’est pas utilisé. Toutefois le Foil IMOCA évoluant plus profondément n’est pas perturbé par l’effet de surface. En d’autres termes le fluide qui l’entoure est plus homogène (pas de bulles d’air qui perturbent l’écoulement) que dans le cas du DSS.

Si on revient à l’IRC, la règle de jauge est beaucoup plus ouverte, dans le sens où elle n’interdit aucun type ou nombre d’appendices. Il est donc possible d’avoir sur un même bateau, deux safrans, une quille pendulaire, une dérive et deux foils latéraux. La seule « contrainte » sera le prix à payer en termes de taxation du TCC et aussi bien sûr la conception et la fabrication des foils.

Sur un 100’ (30,48m) le DSS augmente le TCC de 50/1000 soit 2 minutes par heure. Sur un 40’ (12.18m) un DSS serait taxé de 29/1000, soit 1.40 minutes par heure.


Quel gain ?

Au final, et c’est la seule question que le propriétaire ou le skipper se pose, qu’est ce qu’un (ou plusieurs) foil peut apporter en termes de gain de performance à son bateau :

  • Lorsque le foil est actif, c’est à dire lorsque la vitesse du bateau est telle qu’elle produit suffisamment de portance sur le foil, la portance crée un couple de redressement au même titre qu’un équipage au rappel, un ballast liquide intérieur ou même une quille pendulaire.
  • En contrepartie le foil, comme tout profil hydrodynamique immergé, génère de la trainée (drag) et donc freine le bateau. Il y aura donc un compromis propulsion/frein à prendre en compte.
  • Le foil permet d’augmenter le cabrage du bateau aux allures portantes principalement pour les bateaux équipés de spinnakers asymétriques.

Il faut aussi considérer la carène à laquelle le foil est destiné. Le DSS ou équivalent est destiné à une carène étroite. Je me souviens des runs sous spis asymétriques en Melges 24 avec 30/35 nds de Mistral et tout l’équipage agglutiné dans le balcon arrière pour éviter l’enfournement. On peut constater que sur des carènes dessinées par les mêmes architectes, le phénomène est identique (photo ci-contre : le 100 pieds australien Wild Oats XI).

Le DSS sous le vent cabre le bateau. Il réduit l’asymétrie de la carène ET fait déjauger le bateau, ce qui limite les risques d’enfournement. Dans ces conditions, le gain de vitesse obtenu à voilure constante est notable. La carène est plus équilibrée (moins de gite) et l’assiette longitudinale est meilleure. Ce gain de vitesse permet de sacrifier quelques dixièmes de nœuds à la trainée générée par le foil.


Quelques difficultés quand même …

On remarquera que le plan général du foil DSS est sensiblement horizontal lorsque l’assiette transversale du bateau est de 0°. Sur les IMOCA en revanche, le plan porteur pointe vers le haut d’une dizaine de degrés. La portance hydrodynamique est sensiblement perpendiculaire au plan porteur. Mais cette force se situe dans l’espace, c’est à dire en 3 dimensions. Elle possède donc 3 composantes :

  • Le Lift (Cz) que l’on recherche, puisque cette force génère un couple de redressement,
  • Le Drag (Cx) dirigé vers l’arrière du bateau puisqu’il est un frein à la vitesse,
  • Le composante latérale. Elle est perpendiculaire à l’axe du bateau. Elle devient une force anti dérive lorsqu’elle est dirigée vers l’axe de bateau (cas N°1 ci-dessous), mais qui peut augmenter la dérive (cas N°2 ci-dessous) lorsqu’elle est dirigée vers l’extérieur. Le passage du cas N°1 au cas N°2 dépend uniquement de la gîte.

Conséquences : Plus la gîte augmente, plus la dérive augmente. Au portant cela peut être acceptable, mais on peut être dubitatif sur l’utilisation d’un foil au près. Certes le couple de redressement augmente, mais les forces parasites générées ternissent quelque peu le bilan.

Un autre point délicat se situe dans le contrôle du TRIM longitudinal. Á moins d’avoir des usines à gaz destinées à régler l’angle d’incidence en fonction de l’assiette du bateau (c’est le cas des anciens AC 72 dont les régates duraient 45 minutes), il faut déplacer longitudinalement le poids de l’équipage pour ajuster l’angle d’incidence. C’est la solution employée sur un monocoque, mais elle manque de souplesse et de finesse d’ajustement. Un préréglage du plan porteur pour le largue dès la stratification et possible mais ce préréglage ne sera pas optimum pour la navigation au près.

Les mouvements incontrôlables du bateau à cause des vagues, génèrent aussi les risques suivants :

  • Si l’angle d’incidence passe au-dessus du foil, la portance hydrodynamique s’inverse et le couple de redressement se transforme instantanément en couple de chavirage ! Cela se traduit immédiatement par un pivotement du bateau autour du foil, le résultat doit être surprenant.
  • Si l’angle d’incidence dépasse les 15°, Le foil décroche instantanément. C’est surement un peu moins pire que dans le cas précédent mais il est certain que les performances attendues ne sont plus au rendez-vous.

Des Chiffres

À partir des dessins du nouvel Infinity 53 figurant sur la plaquette de Farr Yacht Design, il est amusant de faire quelques calculs afin d’obtenir des ordres de grandeur non dénués d’intérêt. Sur la base d’une vitesse du bateau de 14 Nds au portant et d’un LIFT Cz de 0.3, ce qui est réaliste compte tenu du fait que le foil est près de la surface de l’eau, le couple généré par le foil DSS équivaut à environ 70% de celui généré par le poids du bateau en navigation avec son équipage au rappel et sa quille angulée à environ 30°.

Calcul de la portance du foil à 14 nœuds :

P = ½ * ρ * Cz * S * V2

  • V : vitesse en m/s (7,2 m/s pour 14 Nds),
  • S : Surface du foil en m2 (1,21 m2 dans le cas présent : 2.2 X 0.55m)
  • ρ : masse volumique de l’eau en kg/m3(1025 kg/m3),
  • Cz : = le coefficient de portance (0,3).

On obtient P = 9644 Newtons soit 964 daN (approximativement 1000 kg).

En prenant comme déplacement complet du bateau, le déplacement IRC avec équipage et armement, soit 9000 kg, on peut en déduire :

  • Le couple généré par le foil : Cfoils = 964 * 2.75 (distance entre le centre de portance du foil et le centre de carène) soit 2651 daN.m.
  • Le couple généré par le bateau (avec quille angulée à 30° et équipage au rappel) : Rm = 8800 * 0,7 (distance entre le centre gravité et le centre de carène) soit 6160 daN.m.
  • On voit que le foil augmente de 43% le couple de redressement (Rm) : Rm passe ainsi de 6160 daN.m à 8811 daN.m.

On voit ci-dessus que les quatre forces (Équipage, Ballast liquide, Poids du bateau, Foil) génère un couple autour du centre de carène. Ce couple redresse le bateau.


Quels Résultats ?

C’est plus compliqué à inventorier. La règle IRC n’est pas une jauge basée sur les performances effectives des bateaux à chacune des allures mais sur les paramètres et équipements susceptibles d’être, à un moment donné, des facteurs de vitesse propres à chaque bateau. Les foils sont des équipements qui peuvent améliorer les performances dans certaines conditions d’allures et de vent, comme c’est le cas pour une quille pendulaire, des ballasts latéraux, une grand-voile à corne, un gréement réglable en tension, un mât carbone, du Rod, etc.

Le problème réside en ce que la taxation inhérente à l’installation d’un foil est appliquée même quand le foil reste dans sa boite à malices et donc n’est pas utilisé. On « transporte » des millièmes pour rien du tout …

L’IRC va inscrire à son calendrier de recherches 2016 la refonte des taxations de tous les équipements dont le but est d’augmenter la puissance disponible des bateaux. Cette démarche est indispensable car, par exemple, si les résultats de l’action d’un foil et d’un ballast liquide sont presque semblables, leurs niveaux individuels de performances sont bien différents.

Historiquement, il faut se rappeler que les ballasts liquides sont apparus il y a plusieurs décennies avec Pen Duick V, puis sur les Mini-Transat, les IMOCA, les Figaro, les VOR et aussi sur quelques IRC. Rapidement, les quilles pendulaires ont remplacé les ballasts liquides, les cantonnant très souvent au contrôle de l’assiette longitudinale du bateau. Aujourd’hui les foils arrivent et, si les technologies, les matériaux et les innovations architecturales le permettent, les foils se développeront.

Une combinaison des 3 systèmes existe déjà sur quelques rares bateaux IRC, tout cela reste embryonnaire. Toutefois des idées presque identiques flottent dans certains cabinets d’architectes qui officient en IRC. Rien n’est donc figé, tout est à construire et à inventer.

Jean SANS – Janvier 2016