Planning Effect

Extrait de la Revue IRC 2024

Un bateau est au planning quand il ne « flotte » plus, mais se déplace à la surface de l’eau. La nuance est d’importance, comme nous l’explique Jean Sans

La règle IRC, comme d’ailleurs toutes les règles de Jauge est une règle «Archimédienne». Les TCC se basent sur la vitesse limite (Vc) des carènes qui est sensiblement égale à 2,4*LFLOT^05 (LFLOT en m et V en nœuds).LFLOT est la longueur dynamique à la flottaison calculée à partir de LWP à laquelle s’ajoutent les effets des éventuels élancements (voûte, étrave, etc…). Dans la réalité c’est un peu plus compliqué. La résistance à l’avancement Rx d’un navire, ou trainée, est la force qu’il faut exercer pour le déplacer d’un mouvement rectiligne uniforme à vitesse constante sur un plan d’eau parfaitement calme. Cette résistance est principalement la somme de la résistance visqueuse Rf et de la résistance de vagues Rw. La résistance visqueuse est due au frottement de l’eau sur la coque. La résistance de vagues est spécifique à l’interface eau/air qui produit des vagues d’étrave et de sillage (au niveau de la voûte arrière) par déformation de la surface libre de l’eau.

Conclusion : en régime archimédien la carène pénètre et écarte le volume d’eau rencontré. Ce qui signifie que lorsque le bateau parcourt une longueur correspondante à sa longueur de flottaison, la carène déplace, de l’avant à l’arrière, un volume d’eau égal à son déplacement. Ce déplacement d’eau se matérialise par le creusement de la vague entre l’étrave (début de la longueur à la flottaison) et la voûte AR (fin de la longueur à la flottaison). Ce qui est particulièrement visible sur la photo ci-dessous.

Pendant plusieurs décennies d’utilisation des règles du RORC, de l’IOR, de l’ORC, de l’IRC et d’autres systèmes, ces deux grands principes ont formé les fondations du calcul des TCC’s.

Le passage en mode planning 

L’architecte britannique Uffa Fox (1898-1972) perturbe alors ces raisonnements en dessinant, dès 1928, des dériveurs qui planent et arrivent à naviguer à une vitesse supérieure à la vitesse critique archimédienne (Vc).

Comment se déroule cette transition ?

•Lorsque le bateau est immobile, la poussée d’Archimède est la seule force qui permet au bateau de flotter. La poussé d’Archimède équilibre de fait le poids du bateau.

•Lorsque le bateau navigue à faible vitesse, la poussée d’Archimède diminue car la force de portance (générée par la surface de la coque) apparaît et soulève le bateau (son volume immergé diminue alors).

•Au fur et à mesure que la vitesse augmente, la force de portance augmente et, corollaire, la poussée d’Archimède continue à diminuer.

•A partir d’une certaine vitesse, qui diffère suivant les formes de carène (beaucoup de carènes ne connaissent jamais cette félicité), le bateau se trouve dans une situation de planning pratiquement permanente. La force de portance (verticale) peut représenter jusqu’à 60 à 70% de la poussée (poids du bateau) d’Archimède initiale. Le bateau ne « flotte » plus. Il se déplace alors à la surface de l’eau : il est au planning.

•On comprend alors qu’un pic d’énergie permet au bateau de monter sur sa vague d’étrave, et de partir au planning : c’est à dire en survitesse permanente tant que les conditions de vents restent relativement stables.

La résistance des vagues atteint son maximum juste avant que le planning se déclenche. Ensuite, cette résistance diminue considérablement. Ce qui explique que l’on peut réduire les gaz sur une vedette à moteur dès qu’elle commence à planer, et cela sans perdre de vitesse.

Mais la résistance visqueuse, résultante du frottement de l’eau sur la surface de la coque croissant avec le carré de la vitesse, (Rf = 0.5* Cx ρ S V2), explique que, bien que planant, donc au-delà de sa vitesse critique de carène, le bateau ne peut pas continuer à accélérer indéfiniment… A moins d’être sustenté verticalement par d’autres appendices et que sa carène sorte de l’eau. Ce qui représente un autre domaine de déplacement, mais non archimédien !

Quelle vitesse en mode planning ?

En mode archimédien, le nombre de Froude (Fn) est égal à 0,4.

La vitesse critique archimédienne s’exprime ainsi : Vc=Fn * (g*LFLOT) ^0.5, avec

g=9,81 m/s2, LFLOT en m, Fn=0,4.

Soit Vc (m/s) = 1,25* (LFLOT)^0.5. Plus couramment Vc (en nœuds) = 2,44* (LFLOT^0.5)

Quelques chiffres :

LFLOT= 10 m            Vc= 7.72 nds

LFLOT= 12 m            Vc= 8.45 nds

LFLOT= 18 m            Vc= 10.35 nds

Dans le mode début du planning établi, le nombre de Froude (Fn) est de l’ordre de 0,65. La vitesse critique théorique au planning devient alors :

Vpla = 3,96 (LFLOT^0.5) pour obtenir Vpla en nœuds.

Pour l’obtenir en m/s, Vpla = 2.04 * (LFLOT^0.5)

Quelques chiffres :

LFLOT= 10 m            Vpla= 12.52 nds    

LFLOT= 12 m            Vpla= 13.72 nds

LFLOT= 18 m            Vpla= 16.80 nds

Mais cette approche, bien que scientifique, reste toutefois théorique.

Les résultats obtenus avec cette formule n’expriment que des ordres de grandeur car la transposition dans la réalité dépend des formes de chaque carène et de l’évolution de la position du centre de carène, de l’assiette de chargement (position longitudinale et transversale du centre de gravité) et du centre de voilure. Autant de paramètres qui permettent de définir l’aptitude à planer d’un bateau.

En 2023, aux allures portantes, les carènes de Class40 planent systématiquement. La théorie prévoit 13.72 nœuds au planning. La réalité est toute autre. Les progrès des nouveaux dessins de carènes typées pour les allures portantes avec des plans de voilure très reculés, beaucoup de quête de mât, et des formes avant tulipées et porteuses, montrent que la vitesse soutenue à 140/150° du vent réel atteint maintenant les 20/25 nœuds, voire plus en vitesse instantanée.

Comment l’IRC aborde la quantification de l’aptitude à planer ?

Il y a encore une douzaine d’années, les mesures disponibles sur chaque bateau permettaient d’aborder cette quantification. Mais à l’époque, les bateaux étaient « pointus » et le phénomène « scow », bien que très ancien, n’était pas repris par les architectes dans leurs dessins des carènes. Aujourd’hui, sous l’influence des classes monotypes principalement, les volumes des étraves s’épanouissent, se mettent à voler au-dessus de la surface de flottaison («flying bow»). Ce qui perturbe les méthodes d’appréciation de cette aptitude à planer. Une approche possible serait d’introduire le « V » de la carène des volumes avant, ainsi que le ratio entre le creux de coque et le BWL, et aussi la géométrie du plan de voilure. Une meilleure connaissance de la raideur à 15/20° de gîte permet également d’apprécier la capacité réelle du bateau à supporter sa surface de voilure, car le passage du mode archimédien au mode planning, comme la poursuite de ce planning, demande de la puissance et donc de la surface de voile. Encore faut-il que le bateau supporte cet accroissement de surface sans prendre une gîte exagérée.

Autant de questions que les systèmes de jauge devront continuer à étudier.

Jean Sans