QUAND LE PRINCIPE DE RÉALITÉ S’IMPOSE
Par Jean SANS – 23/01/2020.
Après avoir publié quelques articles sur les Foilers et les nouveaux AC75, sur le site de l’UNCL, j’évoquais en Octobre 2018 par un titre prémonitoire : « VOLER sur des FOILS, mais surtout PILOTER, telle est la QUESTION ».
La découverte du vol sur des foils
Cette technique du Vol sur Foils est restée très longtemps confidentielle car étant l’apanage de quelques amateurs éclairés. Il faut ajouter que les matériaux disponibles ne permettaient pas cette évolution. Le vol des MOTH nous a montré des images impressionnantes, et c’est « apparemment » facile hors l’agilité du pilote (barreur ?).
Tout parait simple, aucune énergie additionnelle, juste le vent et la mer, un système d’asservissement très simple (mais intelligent) associé à la dextérité d’un pilote funambule.
Pourtant l’expérience montre que la réalité du pilotage des Foilers apparait beaucoup plus complexe lorsque le bateau (Foiler) pèse 7 tonnes (IMOCA) ou 15 Tonnes (Trimaran « Ultim 32/23 »). Il apparait que les masses en mouvement, leurs inerties, la vitesse, le bruit et les mouvements de la plateforme liés au pilotage de ces Foilers ont un effet négatif sur les temps de perception des évènements et de l’environnement, ce qui complique et altère les capacités de réactions et de décisions des pilotes.
Une régate en Moth dure une heure environ, l’engin fait 130 kg avec le pilote. Le pilote est « le cerveau » de l’asservissement. Cela signifie qu’à tout instant, à chaque modification de l’environnement et de la position dans l’espace (3 Dimensions) de l’engin (peut-on parler de bateau ?), il doit modifier de manière corrélée :
- L’énergie disponible et nécessaire (manœuvre des voiles)
- La trajectoire longitudinale de l’engin (le cap)
- L’assiette longitudinale afin d’être parallèle au plan d’eau (tangage)
- L’assiette transversale (gîte, stabilité)
Certes le pilote est aidé par un système mécanique de détection de l’assiette et de l’altitude de vol, système qui commande l’incidence du foil central horizontal installé à l’extrémité de la dérive. Mais, il reste au pilote à contrôler manuellement (aussi en s’aidant de son poids) le plan horizontal arrière (PHR) implanté à l’extrémité du safran (Range d’orientation de -3 à +3° environ).
Sur un Moth, le pilote (barreur) est un véritable funambule hyper concentré, ce qui est inimaginable sur un ULTIME, ou même en IMOCA avec un équipage réduit et sur des durées de navigation de plusieurs dizaines de jours.
La Classe AC 75 en autorisant un système d’asservissement (qui n’est pas intégral), mais qui intègre implicitement un équipage surentrainé, des conditions météorologiques encadrées, des régates diurnes et surtout de courte durée (45 minutes), permet d’assurer des conditions quasi permanentes de VOL fiables.
Le rejet de la réalité
La volonté de battre des records montrent que dans un sport mécanique (même en Athlétisme, si on considère l’homme comme une machine biomécanique), on se trouve rapidement devant un mur.
Au début les progressions sont rapides, puis, l’évidence montre qu’il faut améliorer le support.
Dans un premier temps, la recherche et l’utilisation de nouveaux matériaux permettent de réaliser des grands pas en avant. Je citerais par exemple le passage des mats en bois aux mats en alliage d’aluminium, puis en stratifié carbone.
Pour les régates, une fois que les équipes techniques ont créé toutes les améliorations possibles attachées au régime archimédien dans lequel évoluent les bateaux, il faut tenter de franchir un pas encore plus important, non pas en améliorant l’existant, ce qui est physiquement impossible, mais en changeant de milieu.
Ce sera l’abandon du mode « ARCHIMEDIEN » pour le mode « VOL 3D ». A ce moment on entre dans un domaine relativement inconnu pour des voiliers, bien qu’au début des années 1900 un bateau à moteur ait réellement volé de manière contrôlée.
La Voile (la régate) est un sport-aventure entre l’homme et la nature (la mer, les conditions météorologiques). Toutes les aides extérieures ou mécaniques sont interdites ou encadrées.
Tant que l’on est en régime Archimédien, les aides mécaniques sont faciles à contrôler et à limiter. Cela devient plus compliqué lorsque les moyens de communications évoluent « à la vitesse de la lumière » ; MOITESSIER signalait sa position en envoyant deux pavillons du code international des signaux dans son mat lorsqu’il croisait un navire marchand (« Signalez ma position au LLOYDS de Londres »), aujourd’hui le poste communication satellitaire est un budget très conséquent pour un IMOCA durant le Vendée Globe.
En mode « VOL » c’est le pilotage du Foiler qui devient le problème. En effet maintenir un engin de 15 tonnes à 1,5 à 2 mètres d’altitude au-dessus de l’eau et cela 24H sur 24 en limitant les asservissements, donc en pilotage manuel ou semi manuel est une gageure.
Le débat est engagé depuis plus de deux ans pour les « Ultim 32/23 ». Tous les acteurs sont conscients que créer un système d’asservissement sur les ULTIMES représente des dépenses très importantes. Mais ces engins ne peuvent réellement naviguer (plutôt voler) autour du monde sans cette technologie. C’est la raison du retrait de Gitana de la Classe « Ultim 32/23 ».
Et même ainsi équipés, ce ne sera pas une promenade de santé, car voler à 35/40 nœuds, « tous temps », même avec un CONTROLEUR de VOL (voir ci-dessus) demandera une qualification et des compétences réservées à peu de Marins.