En IRC, les voiliers à « gros nez » commencent seulement à faire leur apparition. Comment apprécier les + et parfois les – de ces carènes, et quel traitement leur réserve notre jauge ? Explications de Jean Sans.
Les formes avant des carènes dites « Scow » ne sont pas une nouveauté. Les Scow Boat sont nés il y a plusieurs décennies aux USA et un modèle en version « Dinghy » est toujours au catalogue de Melges Boats.
Ce dessin de volumes avant généreux, qui est intrinsèquement lié à celui des volumes arrière afin d’avoir un appui hydrostatique lorsque le bateau se cabre, est souvent associé à un effet « spatule ». Effet qui revient à la mode en ce moment du fait que de nombreuses courses se déroulent sur des parcours océaniques (Transat dans les alizés).
L’effet spatule des étraves
En navigation au portant ou au bon plein/travers, les volumes des étraves spatulées offrent plus de portance (au sens archimédien) que ceux des voiliers de classes identiques, qui sont plutôt des « perces vagues ». L’analyse des dessins en profil montre que l’architecte introduit un BO relativement important (début de LWP) puis cherche à repousser vers l’avant et le haut le point de mesure IRC à 45°. De BO vers ce point IRC à 45°, l’étrave suit alors une pente de 15 à 20° pour se raccorder à une verticale qui matérialise la longueur hors tout. En associant des formes transversales avec des rayons de courbure importants, l’architecte développe des volumes avant produisant de la portance qui cabre le bateau dès qu’il y a de la vitesse.
En contrepartie, lorsque la vitesse est faible (inférieure à la vitesse critique archimédienne, liée à LWL), cette forme d’étrave repousse sa propre vague en la creusant : ce qui se matérialise par de la trainée.
Mais cela n’est qu’une partie du comportement hydrodynamique car ce dessin de formes avant « Scow » conduit l’architecte à dessiner obligatoirement des lignes d’eau ayant une forte tendance elliptique. Ainsi, lorsqu’on superpose (gîte 0°) une carène « Scow » avec une carène « classique », on constate que les lignes d’eau d’une carène « Scow » sont pratiquement symétriques aussi bien en longitudinal qu’en transversal. Mais lorsque les bateaux gîtent, les lignes d’eau ne se comportent pas géométriquement de la même manière sur les deux modèles :
Sur la carène « Scow », les lignes d’eau se translatent sous le vent de la carène sans trop de déformations et presque parallèlement à l’axe longitudinal du bateau. Ce glissement sous le vent décale le centre de carène (CB) sous le vent et l’éloigne du centre de gravité du bateau (le CG du bateau est fixe). CB représente le centre de gravité du volume immergé. Lorsque le bateau gîte, ce point se déplace progressivement sous le vent. Ce phénomène augmente le bras de levier (noté « D » sur le dessin) qui produit le RM (moment de redressement). Le gain de RM augmente l’aptitude à porter une plus importante surface de voiles, donc à planer plus tôt. Autre conséquence, le centre de carène recule et favorise l’aptitude à planer.
Sur la carène « classique », les lignes pivotent franchement autour du brion de l’étrave (10 à 12°) avec la gîte. Le volume hydrostatique se retrouve donc nettement angulé par rapport au plan longitudinal du bateau et de son plan de voilure. A 20°de gîte, le décalage sous le vent du centre de carène est moins important que pour une carène de « Scow ».
Tout parait alors pour le mieux dans le meilleur des mondes… La réalité est toutefois un peu plus complexe. En effet, les conséquences hydrostatiques (augmentation du RM) du modèle « Scow » n’ont principalement d’intérêt que dans des conditions de navigation entre 60/70° et 125/135° du vent réel car elles permettent de naviguer avec plus de voilure, donc de puissance, et ainsi augmenter le potentiel de vitesse au planning. Certains CLASS 40 frôlent les 25 nœuds dans certaines conditions favorables. Aux allures de près, ces formes volumineuses deviennent très compliquées à gérer. Les volumes des formes avant s’opposent à la progression dans du clapot ou une mer formée ou croisée. Les performances par vents faibles pâtissent aussi de l’augmentation de la surface mouillée générée par les formes elliptiques des lignes d’eau. Il apparait donc que les formes de carènes à tendance elliptiques « Scow » offrent globalement l’opportunité d’améliorer la vitesse. Elles imposent toutefois de concevoir une stratégie de navigation différente que celle développée depuis plusieurs décennies avec une carène classique.
A part dans la zone 0° à 60° ou les formes avant classiques (« pointues ») autorisent un meilleurs VMG et surement un passage dans le clapot ou la mer formée plus performant, le modèle « Scow » reste apparemment nettement plus performant.
L’effet de Mode (au sens de « fashion »)
Le fait que les premiers bateaux concernés par ces évolutions des formes de carènes soient des monotypes à restrictions (Box-Rule), comme les CLASS40, les IMOCA, les MINI 6.50, faussent la perception de l’influence, en termes de performances, de ce type d’architecture. En effet ces bateaux naviguent en temps réel, sans concurrence d’autres bateaux d’architectures différentes, et sur des parcours qui leurs sont, en principe, favorables.
Comment apprécier cette évolution du potentiel de vitesse en IRC ?
L’IRC est un système qui taxe les bateaux en fonction des caractéristiques de base de la carène, des appendices et des voiles. Les paramètres (mesures et équipements) qui favorisent la vitesse sont symboliquement au « Numérateur », ceux qui génèrent de la trainée au « Dénominateur ». Depuis sa création, l’IRC n’inclut pas la forme volumique des carènes dans le calcul du potentiel de vitesse des bateaux, donc du TCC. En d’autres mots, l’IRC n’utilise pas de VPP ou de système similaire. Il faut se méfier des ratios calculés entre les surfaces de voilure au près ou au portant et le déplacement, car, contrairement aux bateaux de jauge ou toute augmentation de voilure se retrouve dans le TCC, les bateaux « Box Rules » peuvent bénéficier de surface de voiles plus généreuses, d’autant plus que leurs formes « Scow » permettent de supporter cet excèdent de voilure.
Jean Sans