Extrait de la Revue IRC 2023

« D’une certaine manière, on peut dire que l’ORC considère les bateaux à priori et l’IRC à posteriori ». Explications

La course au large est depuis longtemps coupée en deux entre IRC et ORC. On peut le regretter mais c’est le fruit de l’histoire qui a entrainé deux philosophies différentes. Schématiquement, l’IRC a une approche pragmatique plutôt européenne et l’ORC une approche mathématique plutôt américaine. Expliquons pourquoi.

D’un côté de l’Atlantique, la côte Est des Etats-Unis est globalement basse avec d’immenses plans d’eau protégés et relativement peu profonds : La baie de Cape Cod devant Boston, la zone de Nantucket-Newport-Narragansett puis Long Island et New York, la Chesapeake Bay devant Washington, le Pamlico Sound derrière le cap Hatteras puis Miami et les Bahamas. Il n’y a guère que les Bermudes qui soient véritablement offshore. Hormis au sud de la Floride, les vents viennent majoritairement de l’Ouest et aussi du Nord, rendant ces plans d’eau relativement calmes car protégés par les terres.

De l’autre côté de l’Atlantique, les vents s’engouffrent dans l’entonnoir de la Manche et avec le relèvement du plateau continental, lèvent une mer forte, combinant une grande houle avec des effets de côte et de marée, qui rajoutent un clapot court et vertical. Tous les skippers qui font le Rhum ou le Vendée savent qu’il est stressant de « dégolfer ». En 2000, le départ du Vendée Globe dut être reporté en raison d’une météo exécrable, et en 2002 il y eut l’hécatombe qui décima définitivement la classe Orma 60’.

Ces paramètres géographico-météorologiques ont structuré le design des bateaux. Quand les américains faisaient des sandbaggers surtoilés, larges et peu lestés sauf par des sacs de sable jetés à la bouée au vent, les Anglais faisaient des couloirs lestés, étroits et très quillés. Ainsi naquirent les jauges CCA aux USA et RORC en Angleterre *. Dans les années 60, l’IYRU, aujourd’hui World Sailing, qui voulait un quillard olympique, fit pression pour que les deux se rapprochent et créent ensemble l’IOR, espérant convaincre ainsi le CIO de créer une nouvelle série olympique non monotype. Cette jauge ouverte vécut moins de vingt ans victime de l’ingéniosité des architectes et de leurs outils informatiques, avec pour conséquence une obsolescence prématurée des voiliers et une inflation des coûts de fabrication.

Naissance de l’IMS puis de l’ORC

Les américains inventèrent alors l’IMS à base de VPP en ajoutant les conditions météo de la course. Le nombre de mesures de jauge, leur difficulté d’exécution avec un matériel de mesure spécifique rendirent la jauge très chère et peu accessible. Ajoutons qu’enregistrer précisément la météo pour faire les calculs à posteriori était irréalisable pour les comités de course. L’IMS, parfait sur le plan scientifique, s’avéra inapplicable dans le monde réel. L’ORC qui gérait l’IMS ne dut son sauvetage financier qu’à son intégration dans World Sailing.

La jauge ORC qui en est dérivée a gardé le principe du VPP en simplifiant le facteur météo. Le temps du premier sur la ligne et son VPP rapportés à la distance donnent un vent moyen qui s’applique à toute la flotte. Le résultat est que la priorité devient de courir contre son avatar « à combien de % suis-je de ma polaire ?» plus que de courir contre les autres bateaux. Il est impossible en passant la ligne d’estimer sa place en prenant le temps du voisin puisqu’il faut attendre le retour à terre et les calculs en aval du GPH. Le résultat se réfère donc à une performance relative et pas absolue… Paradoxal pour un système scientifique! D’autant que plus la course est longue, plus le paramètre météo devient aléatoire, la flotte s’étalant parfois dans des systèmes différents.

© Rolex/Kurt Arrigo

L’IRC permet une très grande liberté de conception

L’IRC est parti d’une approche très différente mettant en priorité la simplicité, la liberté de design et un faible coût pour avoir un système universel applicable à tous les bateaux. Concrètement, on évite la mesure de stabilité, coûteuse et aléatoire. Par ailleurs, les mesures sont déclaratives sauf pour certaines courses qui demandent un certificat « endorsed », c’est-à-dire validé par un contrôleur officiel. En cas d’aberrations, la base de données IRC de 40 000 bateaux permet de détecter les erreurs. Et quand il y a des tentatives de triche, TCC oblige, elles sont immédiatement détectées par les concurrents avant les contrôleurs!

L’IRC, fille de l’IOR, s’appuie sur une formule de jauge générale et pas sur un VPP individuel. Chaque mesure entre dans un ensemble de calculs qui vont déterminer la taxation de chaque élément et, in fine, le rating** du bateau. Il s’agit d’identifier les « facteurs de performances » (une surface de voile généreuse, un bateau relativement léger, une quille profonde …) ou au contraire les facteurs limitants (un déplacement lourd, un aménagement très confortable …) et de calculer un rating en conséquence. Charge au concepteur, s’il choisit d’incorporer un « facteur de performance », d’être sûr que le bateau et l’équipage en tireront le meilleur parti.

Certains aspects, comme le design de la carène ne sont que peu pris en compte. Ce qui permet une très grande liberté de conception. La diversité de forme des bateaux IRC en témoigne. L’IRC laisse donc une totale liberté aux architectes et, en contrepartie, observe l’évolution des bateaux et essaie de taxer le plus justement possible les évolutions.

D’une certaine manière, on peut dire que l’ORC considère les bateaux à priori et l’IRC à posteriori. Rappelons que l’IRC est une coproduction RORC-UNCL, deux clubs de navigateurs. C’est donc une jauge faite par des coureurs pour des coureurs.

Secret ou pas secret ?

Le secret de l’IRC est un serpent de mer ! Certes la formule n’est pas publique, non pas par souci de propriété intellectuelle, mais pour protéger les propriétaires de la dévaluation de leurs bateaux comme ce fut le cas avec l’IOR quand un nouveau trou de jauge donnait un avantage énorme et disqualifiait de fait les autres bateaux. L’ORC n’est pas moins secrète car personne ne connait les calculs internes du VPP utilisé ! Ceci ne veut pas dire que l’on ne peut pas progresser vers une meilleure compréhension des paramètres du facteur de coque notamment, et des réflexions sont en cours au comité technique de l’IRC à ce sujet.

Quels développements attendre ?

Le comité technique de l’IRC fait face à une évolution radicale de la flotte depuis quelques années. Pour schématiser, disons que le temps pendant lequel la coque du bateau est totalement immergée réduit de jour en jour, que ce soit par des étraves spatulées, des arrières planants ou des foils, produisant toujours plus de vitesse. Par conséquent, la part de la composante vitesse dans le vent apparent augmente par rapport à la vitesse réelle du vent. Ceci joue naturellement à certaines allures et sur la composition des garde-robes … Transformer cette observation en équation n’est pas une mince affaire!

Alors IRC ou ORC ?

N’insistons pas sur le plaidoyer pro domo mais remettons les jauges à leur place. Ce ne sont pas elles qui font avancer les bateaux mais les équipages. Pour performer, établissez bien vos priorités : un bon équipier est souvent plus rentable qu’une voile tarabiscotée. Il suffit de voir les écarts dans une flotte monotype pour savoir que ce sont bien les humains qui font les victoires et pas les systèmes!

*Pour de plus amples détails, référez-vous au livre de Jean Sans sur les jauges, disponible en PDF sur le site de l’UNCL

**Rappelons que le terme rating ne se traduit pas exactement en français par handicap, car il fait référence à des mesures alors que le handicap est purement statistique comme l’était le HN, Handicap National devenu Osiris avec un zeste d’ORC.

Acronymes développés :

  • CCA: Cruising Club of America
  • IMS: International Measurement System
  • IRC: International Rating Certificate
  • ORC: Offshore Rating Council
  • TCC: Time Correcting Coefficient

Article rédigé par Philippe Sérénon et Claude Charbonnier

Crédit Photos: © Rolex/Kurt Arrigo

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